Pas moins de 13 élections nationales se dérouleront en Afrique en 2021. La moitié environ de ces élections aura lieu dans la Corne de l’Afrique et le Sahel central. Parallèlement au recul démocratique observé sur le continent ces dernières années, plus d’un tiers de ces élections n’est rien moins qu’un « théâtre politique » visant à procurer une apparente légitimité à des dirigeants ne tirant vraisemblablement pas leur pouvoir du peuple. Les élus qui tentent de contourner les limites de durée des mandats constituent cette année l’une des caractéristiques saillantes du paysage politique, puisqu’elle concerne près de la moitié des élections, avec des chefs d’État africains au pouvoir depuis un temps record. Un nombre certes limité mais croissant d’élus se montrent plus enclins à interdire les partis de l’opposition ou à sanctionner reportages critiques dans les médias afin de faire place nette en vue du processus électoral.
Une question fondamentale se pose ainsi autour des élections de cette année : il ne s’agit pas seulement de savoir qui en sortira vainqueur mais comment ces vainqueurs seront perçus une fois les élections passées. Est-ce que les dirigeants qui peuvent rester au pouvoir grâce à ces manœuvres ambitieuses jouiront d’un même niveau de légitimité ? Cette tendance devrait perdurer un moment si rien n’est fait pour que les élus aient à répondre de ce phénomène de recul de l’intégrité électorale.
Une question fondamentale se pose ainsi autour des élections de cette année : il ne s’agit pas seulement de savoir qui en sortira vainqueur mais comment ces vainqueurs seront perçus une fois les élections passées. Est-ce que les dirigeants qui peuvent rester au pouvoir grâce à ces manœuvres ambitieuses jouiront d’un même niveau de légitimité ? Cette tendance devrait perdurer un moment si rien n’est fait pour que les élus aient à répondre de ce phénomène de recul de l’intégrité électorale.
Il ne faut pas oublier les cas, nombreux, où des élus quittent leurs fonctions au terme de leur mandat. Ces élections méritent notre attention de manière intrinsèque mais aussi au vu des valeurs qu’elles véhiculent.
Voici les problématiques clés sur lesquelles il convient de se pencher :
Ouganda
Élections présidentielles et législatives le 14 janvier
Les élections présidentielles de l’Ouganda de janvier 2021, ont été marquées par le recours de plus en plus manifeste à la violence par la police ougandaise et par les forces armées afin d’assurer la victoire du président Yoweri Museveni, âge de 76 ans, qui confisque le pouvoir depuis 35 ans. Museveni cherche à briguer un sixième mandat après avoir supprimé les limites applicables aux mandats présidentiels en 2017 et les limites généralement applicables aux mandats en 2005, lesquelles limites l’auraient obligé à renoncer au pouvoir. Les 11 candidats de l’opposition, pourtant reconnus par la Commission électorale, ont été à de nombreuses reprises placés en détention, menacés et empêchés de mener leur campagne. Les partisans de l’opposition désireux de participer à des meetings ont été harcelés et frappés, et 55 d’entre eux y ont même trouvé la mort.
La hausse des actes d’intimidation est conforme à la conception du Mouvement de résistance nationale (NRM) au pouvoir, qui considère que ces pratiques sont nécessaires pour étouffer l’opposition et l’empêcher de mettre en péril la domination de longue date de ce parti. S’appuyant sur ce qui forge son identité en tant que mouvement de libération nationale, le NRM suit de plus en plus une pente qui le porte à désigner les rivaux politiques comme des ennemis et à justifier l’usage de la force. Les revenus pétroliers du pays, estimés à 300 milliards de dollars (réserves constituées de 6 milliards de barils), qui devraient commencer à être versés en 2022, donnent de bonnes raisons au NRM de s’accrocher au pouvoir.
L’attitude musclée du NRM dans le cadre des élections reflète également la crainte du parti à l’égard d’une jeunesse ougandaise de plus en plus mobilisée. Soixante-dix-huit % d’Ougandais sont âgés de moins de 35 ans et sont donc nés après l’accession au pouvoir de Museveni. Ils aspirent à une démocratie plus authentique et se font entendre sur la corruption accrue qu’ils perçoivent au sein du NRM, ce qui aurait pour conséquence directe un nombre limité de postes accessibles aux jeunes. Ils rejettent la prétention du NRM à s’arroger un droit perpétuel. Le visage qui représente ces aspirations est le chanteur devenu député, Bobi Wine, et son mouvement populaire (People Power movement), qui a fait des injustices la pierre angulaire de son discours politique.
L’opposition joue toutefois sur un terrain où les dés sont pipés. La date des élections, fixée au 14 janvier, a été avancée de trois mois afin de réduire la période de campagne et ainsi limiter la capacité des partis de l’opposition à mobiliser leur base. La Commission électorale a par ailleurs échoué dans la mise en œuvre de réformes importantes après le fiasco des élections de 2016, en dépit de décisions de la Cour suprême en ce sens. En janvier, Museveni a pris la décision inédite d’associer officiellement le personnel et le commandement de l’armée ougandaise (l’UPDF) au processus électoral en leur demandant de superviser les opérations de sécurité autour des bureaux de vote, plus particulièrement dans les zones urbaines.
Les plaintes de l’opposition concernant la partialité de la Commission électorale correspondent à la politisation croissante des institutions clés. Cette évolution est soutenue par une pléthore d’instruments juridiques (les lois Public Order Management Act, Communications Act, Preventative Detention Act et les Stage Play and Entertainment Rules), qui ont servi de fondement à l’arrestation de chefs de l’opposition, à l’interdiction de manifestations pacifiques et de rassemblements de l’opposition, mais aussi à l’incarcération de journalistes.
Les candidats de l’opposition aux présidentielles n’ont pu être interviewés par les médias et ils ont dû compter sur leurs sympathisants pour relayer leurs idées auprès de la presse. Une taxe journalière sur les médias sociaux a été instaurée en 2020 et impose à l’ensemble des utilisateurs des réseaux sociaux d’obtenir une autorisation et de s’abstenir de « déformer les faits » ou de publier des contenus « susceptibles d’instaurer un climat d’insécurité », une mesure qui selon Amnesty International porte un coup dur à la liberté d’expression en ligne.
« Les Ougandais n’ont jamais connu de véritable participation politique sous Museveni ».
En dépit de ces défis, la société civile et les organisations professionnelles ougandaises ont lutté pied à pied pour défendre leurs libertés publiques. Deux pétitions concernant les élections ont d’ores et déjà été déposées en justice sur le fondement de violations supposées du droit électoral et des règles constitutionnelles. Des applications de vote en ligne ont également été créées pour permettre aux électeurs de suivre les résultats en temps réel et les aider à étayer leurs allégations de fraude électorale.
Les Ougandais n’ont jamais connu de véritable participation politique sous Museveni, mais le pays a été reconnu pour son relatif respect des libertés publiques. Ces libertés sont nettement réduites depuis la période électorale de 2021, éloignant ainsi plus encore l’Ouganda des aspirations démocratiques de nombre de ses citoyens.
Niger
Élections présidentielles le 21 février
Aucun des 28 candidats en lice aux élections présentielles du Niger du 27 décembre 2020 n’a été en mesure de rallier une majorité d’électeurs, ce qui a nécessité l’organisation d’un deuxième tour entre les deux candidats ayant recueilli le plus de voix. Le ministre de l’Intérieur Mohamed Bazoum, représentant du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme au pouvoir, a recueilli 39 % des voix au premier tour, tandis que l’ancien président Mahamane Ousmane, affilié à la Convention démocratique et sociale, est arrivé second avec 17 % des suffrages exprimés.
Bazoum, ancien ministre des affaires étrangères, a reçu une formation d’enseignant et a fait campagne sur une plateforme dédiée à la sécurité et à l’enseignement. Son parti devrait également obtenir une majorité au parlement lorsque le dépouillement du 27 décembre sera terminé. Ousmane fut l’un des présidents démocratiquement élus du Niger entre 1993 et 1996, date à laquelle il fut évincé par un coup d’État militaire. Il fut ensuite porte-parole du Parlement de la CEDEAO entre 2006 et 2011, puis un opposant farouche au président Tandja Mamadou lorsque celui-ci tenta de briguer un troisième mandat en 2009.
« Le président Mahamadou Issoufou a quitté ses fonctions au terme de son deuxième quinquennat, ce qui constitue un précédent appréciable ».
Quel que soit le candidat qui l’emportera, les élections revêtent une importance cruciale au Niger, puisqu’il s’agira pour ce pays de 22 millions d’habitants de la première passation de pouvoir dans le respect des règles démocratiques. Le président Mahamadou Issoufou a quitté ses fonctions au terme de son deuxième quinquennat, ce qui constitue un précédent appréciable. Il est en effet le premier à respecter les limites de durée des mandats et contribue ainsi à institutionnaliser l’équilibre des pouvoirs qui doit aussi s’imposer à l’exécutif.
Le Niger entreprend cette transition démocratique en même temps qu’il lutte contre des insurrections de plus en plus agressives de la part des groupes islamistes militants. Ces attaques sont perpétrées dans deux arènes différentes. Les premières, imputables plus particulièrement à l’État islamique dans le Grand Sahara, se concentrent dans l’ouest du pays, le long des frontières qui le séparent du Mali et du Burkina Faso. Les autres sont commises dans la région du lac Tchad et sont le fait de Boko Haram et de sa branche État islamique en Afrique de l’Ouest. Au total, le Niger a eu à déplorer 250 attentats et 929 décès dus aux groupes terroristes islamistes en 2020, soit une augmentation de 22 % par rapport à l’année précédente et une multiplication par 13 depuis 2017. Bien que le pays ait enregistré des niveaux de violence relativement moins élevés que ses voisins du Sahel (Mali et Burkina Faso), il continue à essuyer des pertes militaires et civiles considérables. Ces attentats ont freiné les déplacements et les échanges, faisant peser ainsi des contraintes supplémentaires sur l’économie de l’un des pays les plus pauvres au monde.
La priorité à laquelle devra se consacrer l’élu sortant des élections de février sera de mobiliser une stratégie de grande ampleur impliquant les collectivités locales et les partenaires régionaux afin de renverser cette tendance à la hausse des activités terroristes islamistes.
République du Congo
Élections présidentielles le 21 mars
Les élections présidentielles en République du Congo devraient prendre des allures de mélodrame, et la concurrence sera absente de ce qui s’annonce comme une cérémonie orchestrée en haut lieu. Le président actuel, Denis Sassou Nguesso, âgé de 77 ans, et son Parti congolais du travail (PCT), ont la haute main sur les leviers du pouvoir, et ils entendent bien les conserver après les élections de mars. Le fait que les membres de la Commission électorale n’aient été désignés qu’en décembre 2020 et que l’enregistrement des électeurs ait pris un retard très important par rapport au calendrier met en évidence le peu de sérieux du processus électoral.
Le point saillant de la situation réside dans la longévité de Sassou Nguesso, qui en 2021 peut se targuer d’être resté 37 ans à la tête de ce pays d’Afrique centrale riche en hydrocarbures, ce qui le met en troisième position dans le classement des chefs d’État africain à être restés le plus longtemps au pouvoir. S’il est élu, il entamera son quatrième mandat consécutif depuis son retour au pouvoir en 1997, et son sixième mandat au total, si l’on tient compte des fonctions qu’il a exercées à la présidence entre 1979 et 1992. Une révision constitutionnelle avait permis en 2015 de supprimer les limites d’âge (qui l’auraient disqualifié), d’étendre la limite du nombre de mandats présidentiels à 3 (qui ne s’applique pas au président en exercice) et de réduire la durée de ces mandats de 7 à 5 ans.
Sassou Nguesso s’est appuyé sur l’intimidation politique et sur la répression pour se maintenir au pouvoir. En 2019, l’ancien candidat à la présidentielle André Okombi Salissa fut condamné à 20 ans de travail forcé au motif qu’il constituait un danger pour la sûreté de l’État. Une accusation similaire avait été portée en 2018 contre un autre candidat, le général à la retraite Jean-Marie Michel Mokoko, qui fut quant à lui condamné à 20 ans d’emprisonnement.
Les médias présents au Congo sont obligés de s’inscrire auprès d’un organe de régulation quelque peu orwellien, le Conseil supérieur de la liberté de communication. Les médias qui contreviennent aux règles de cette institution peuvent faire l’objet de sanctions financières ou de décisions de retrait, ce qui a pour conséquence un haut niveau d’autocensure.
« Les attributs de la démocratie sont certes maintenus, mais le contrôle est en réalité fermement détenu par le parti au pouvoir ».
En effet, les élections en République du Congo mettent en évidence le caractère autoritariste d’un État africain moderne où les attributs de la démocratie sont certes maintenus, mais où le contrôle est en réalité fermement détenu par le parti au pouvoir. Les élections ont beau être organisées, la compétition n’y a pas sa place, les élus ne répondant que peu de leurs actes. Les partis de l’opposition pourraient mais ne sont pas en mesure de remettre en cause le parti au pouvoir qui, avec ses alliés, détient 108 des 151 des sièges au parlement (soit 72 %). Les médias indépendants peuvent fonctionner mais ne sont pas à l’abri de sanctions en cas d’articles critiques à l’égard du gouvernement.
À raison de l’absence de contre-pouvoirs, la République du Congo est largement considérée comme corrompue et se place au 165ème rang des 198 pays notés par l’ONG Transparency International sur l’indice de perception de la corruption. Les excès associés ont entraîné une dette extérieure de 6,77 milliards de dollars (dont 2,2 milliards pour les créanciers chinois), soit environ 119 % de son PIB.
Bien que la République du Congo soit passée à côté d’une guerre civile invalidante et ait mieux réussi là où d’autres pays de la région ont échoué (République démocratique du Congo et Cameroun), sa stabilité ne saurait être garantie. Le Congo n’est pas à l’abri des problèmes à l’origine des conflits dans ces pays, comme l’indiquent les irrégularités qui ont entouré les élections présidentielles de 2016, marquées par des arrestations à Brazzaville et des attentats sur la principale ligne ferroviaire reliant la capitale et la ville-portuaire de Pointe-Noire (port principal du pays).
Cap-Vert
Élections législatives en mars
Élections présidentielles en octobre
Le président Jorge Carlos Fonseca quittera ses fonctions en 2021 au terme de son second quinquennat, conformément aux règles constitutionnelles. Cette décision s’inscrit dans la tradition de ce pays insulaire de 500 000 habitants situé dans l’océan Atlantique, qui depuis 20 ans respecte les limites de durée des mandats. L’histoire du pays montre sa capacité à organiser des élections transparentes et plurielles, avec une alternance de pouvoir. Deux principaux partis luttent pour le pouvoir dans le pays : le Mouvement pour la démocratie de Fonseca et le Parti africain pour l’indépendance du Cap-Vert.
Le système politique du Cap-Vert compte un président élu et un Premier ministre nommé sur la base des résultats aux élections législatives. Ces dernières se déroulent 6 mois avant les élections présidentielles. En 2019, l’Assemblée nationale a adopté une loi sur la parité hommes-femmes prévoyant un quota de 40 % de femmes parmi les candidats figurant sur une liste nationale ou locale. Les élections de 2021 seront par conséquent les premières à voir l’application de ce quota.
Le bilan du Cap-Vert en matière de bonne gouvernance et de stabilité politique s’est traduit par une croissance économique soutenue et une baisse constante de la pauvreté. Grâce à une stratégie privilégiant la croissance inclusive et des investissements dans le capital humain, le pays s’est transformé en une économie à revenu intermédiaire.
Tchad
Élections présidentielles le 1er avril
Élections législatives le 24 octobre (reportées)
Les élections présidentielles du Tchad ne devraient pas être autre chose qu’une simple cérémonie au vu du peu de place fait à l’opposition politique. Le gouvernement se montre certes désinvolte à l’égard des élections, mais il convient de désigner les responsables et les membres de la Commission électorale nationale indépendante.
Le président Idriss Déby va briguer un sixième mandat. Il avait supprimé en 2005 les limites de durée des mandats, avant de les réintroduire en 2018, sans qu’elles puissent toutefois s’appliquer rétroactivement. L’ancien chef militaire âge de 68 ans a accédé à la présidence après l’éviction du pouvoir du despotique Hissène Habré.
Déby est l’un des présidents africains dont le pouvoir est le moins limité, puisqu’il contrôle dans les faits les autres branches du gouvernement, le secteur de la sécurité et les médias. Les élections législatives ont toujours été reportées et ont eu lieu pour la dernière fois en 2011. Déby a supprimé le poste de Premier ministre en 2018, consolidant ainsi davantage encore son pouvoir. Bien que les partis de l’opposition soient tolérés, leur marge de manœuvre est très limitée. Lorsqu’ils ont tenté d’organiser un « Forum citoyen » en octobre 2020, en marge du « Forum national inclusif » du gouvernement, la police est venue boucler le périmètre des partis de l’opposition afin d’empêcher la tenue de la réunion.
Les médias sont également étroitement contrôlés. Les journalistes ayant couvert les manifestations ou désignés comme critiques à l’égard du gouvernement ont été expulsés, placés en détention ou ont vu leurs points de vente fermer. En février 2018, les journalistes ont organisé un « Jour sans presse » afin de dénoncer les attaques perpétrées par la police contre les journalistes. Un mois plus tard, les autorités ont bloqué l’accès aux réseaux sociaux, qui ne fut rétabli qu’en juillet 2019, le blocage ayant duré au total 470 jours. Un événement dédié à la formation journalistique prévu en nombre 2020 a fait l’objet d’une descente de police qui a débouché sur 70 arrestations.
« Déby est l’un des présidents africains dont le pouvoir est le moins limité ».
L’économie tchadienne dépend fortement des revenus pétroliers, à l’origine de la croissance économique du pays au fil des années et qui représentent 80 % des recettes générées par les exportations. Ces recettes n’ont malheureusement pas été affectées au développement du pays. Quarante-sept pour cent de la population vit dans la pauvreté et le Tchad se place 162ème sur 198 pays sur l’indice de perception de la corruption de Transparency International.
L’armée du Tchad est largement perçue comme l’une des plus compétentes du Sahel et joue un rôle dans les campagnes régionales de lutte contre le terrorisme, notamment au sein du G-5 Sahel. Le Tchad lutte également très activement contre les incursions des terroristes islamistes de Boko Haram qui franchissent le lac Tchad depuis le Nigeria pour se rendre dans la région ouest du lac.
En dépit de l’apparente stabilité liée au « règne » de trente ans de Déby, le Tchad reste un pays très instable qui abrite en son sein des forces d’opposition armées, des révoltes périodiques et des tentatives de coups d’État. Elles proviennent notamment de mouvements de résistance armés basés en Libye et au Soudan en partie composés de propres membres de la famille de Déby et de Zaghawas. Cette instabilité devrait persister compte tenu des lacunes observables dans le pays : inégalités grandissantes, opportunités limitées et espace politique restreint.
Djibouti
Élections présidentielles en avril
Le président Omar Guelleh prévoit de briguer un cinquième mandat lors des élections présidentielles de Djibouti, qui ne seront certainement ni équitables ni justes. L’élu de 73 ans, dont le régime clientéliste repose sur le soutien militaire à son régime, est au pouvoir depuis 1999. Les limites assignées à la durée des mandats ont été supprimées en 2010, avant le troisième mandat de Guelleh, alors qu’il avait déclaré en 2005 qu’il se contenterait de deux mandats, conformément à la Constitution.
Guelleh, une fois au pouvoir, s’est appuyé de plus en plus sur des tactiques répressives pour étouffer la dissidence. Les partis de l’opposition doivent être « reconnus » par la Commission électorale partisane, qui exerce une influence considérable sur les critères de participation des partis. Même au sein de partis reconnus, les membres sont parfois harcelés, arrêtés et poursuivis en justice. Les casiers judiciaires peuvent à leur tour empêcher certains candidats de se présenter.
Les médias détenus par l’État dominent le discours public et il n’existe aucun média privé ou indépendant dans le pays. Les rares journalistes qui s’aventurent à critiquer le gouvernement sont souvent arrêtés et battus avant de finir derrière les barreaux. On en retrouve un exemple éloquent dans la vidéo de juin 2020 qui filme une manifestation pacifique organisée en soutien au pilote de l’armée de l’air Fouad Youssouf Ali, qui avait demandé l’asile politique à l’Éthiopie après avoir dénoncé dans son pays la discrimination et la corruption. Il retourna ensuite au Tchad après une demande d’extradition de Djibouti. Une vidéo postée sur les réseaux sociaux présenta ensuite sa détention dans des conditions dégradantes, vidéo qui suscita la manifestation. La police fit irruption avec fracas, tirant à balles réelles sur les manifestants. Les journalistes qui avaient cherché à couvrir l’événement furent également frappés et arrêtés.
Les émissions de La Voix de Djibouti sont diffusées à partir de la Belgique mais son signal est souvent brouillé et l’accès au site Internet est bloqué par les autorités. Bien que l’accès à Internet soit plus répandu et que les réseaux sociaux constituent l’un des rares espaces de libre expression où la presse puisse s’exprimer, le gouvernement tente de plus en plus de limiter l’accès au haut débit. Djibouti arrive au 176ème rang des 180 pays au classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières en 2020.
« La communauté internationale fait peu pression sur Djibouti pour qu’elle accroisse la transparence de son système politique et conduise des élections véritablement plurielles ».
En raison d’une arène politique réduite, les candidats de l’opposition ne sont pas en mesure de contester librement les élections. En septembre 2020, plusieurs partis de l’opposition ont réuni leurs forces sous la bannière de la coalition de l’USN (Union pour le salut national) afin d’empêcher un cinquième mandat de Guelleh. Ils proposent un report des élections jusqu’à la réorganisation de la Commission électorale (mesure approuvée par le gouvernement en 2015). Depuis, l’opposition en appelle à un gouvernement de transition.
La communauté internationale fait peu pression sur Djibouti pour qu’il accroisse la transparence de son système politique et conduise des élections véritablement plurielles. Cela s’explique par la situation stratégique du pays à proximité de Bab-el-Mandeb et de l’accès qu’elle permet au trafic maritime depuis l’océan Indien vers la mer Rouge. Djibouti abrite des bases navales françaises, américaines, chinoises et japonaises, et héberge également la base opérationnelle de la coalition internationale de lutte contre la piraterie dans la région.
Les droits de port et les redevances portuaires représentent des sources de revenus majeures pour le gouvernement. Pour autant, Djibouti a pris sur sa dette extérieure de 103 % du PIB pour soutenir les chemins de fer, les ports et des projets d’électrification. Plus de la moitié de cette dette est due à des créanciers chinois. Le service de la dette a progressé de 120 % entre 2019 et 2021 (dont 80 % au bénéfice de la Chine), et Djibouti court un grand risque de surendettement.
La croissance économique de Djibouti n’est pas bien répartie, et les inégalités sont fortes. La pauvreté toucherait environ 36 % de la population, le chômage 48 %. Le chômage chez les jeunes est particulièrement élevé, ce qui suscite de plus en plus de colère sociale. Un mouvement d’opposition armé, le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie, se retrouve périodiquement au cœur d’affrontements avec les forces armées de Djibouti et d’attaques dirigées contre des symboles de l’État.
Bénin
Élections présidentielles le 11 avril
Les élections présidentielles du Bénin seront sous la mainmise du président Pierre Talon, qui fera de l’exclusion politique la norme et veillera à s’assurer son maintien au pouvoir. Le point d’inflexion à partir duquel expliquer le contexte actuel est le 28 avril 2019, soit la date des dernières élections législatives du Bénin, où seuls deux partis proches de Talon ont pu se présenter aux élections. Les Béninois ont en grande partie boycotté les élections et le taux de participation ne fut que de 27 %, et les observateurs internationaux ne s’y sont pas trompés, qui y ont vu une imposture. Des manifestants ont défilé afin d’exprimer leur mécontentement. Les militaires ont répondu par des tirs à balles réelles, faisant au moins quatre morts, dans ce pays généralement très stable.
Le mouvement qui a conduit à priver les opposants politiques de toute participation et qui est venu mettre fin à des décennies de respect par le Bénin des principes démocratiques est révélateur du mode d’exercice du pouvoir de Talon. Considéré comme l’homme le plus riche du Bénin avant sa prise de fonctions en 2016, il a cherché à réduire les contre-pouvoirs démocratiques afin d’approfondir et d’étendre son pouvoir. Peu après son investiture en tant que président, il a tenté, en 2016 et 2017, de faire supprimer par l’Assemblée nationale les règles qui limitaient à deux le nombre de mandats présidentiels, ce qui fut refusé. Il a pris le contrôle de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale nationale autonome en y plaçant des fidèles, a exigé que les candidats à la députation soient « parrainés » par des élus en place puis s’en est pris aux rivaux politiques éventuels en les accusant de crimes et en les empêchant efficacement de se présenter aux élections.
Un citoyen lésé par ces mesures contesta l’exclusion politique des élections législatives de 2019 devant l’antenne régionale de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (ACPHR). En novembre 2020, la juridiction devait juger que les changements apportés à la Constitution pour exclure les partis d’opposition étaient en contradiction avec la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance à laquelle le Bénin est partie. La Cour décida ainsi de contraindre le Bénin à annuler la modification en cause et à rétablir le statu quo. Pas moins de 28 dossiers sont en instance devant l’ACPHR concernant le Bénin, et elles ont été introduites par des Béninois qui ont le sentiment qu’ils ne pourront trouver aucun recours devant les tribunaux de plus en plus partisans de leur pays. Refusant une quelconque responsabilité régionale, Talon a décidé de se retirer de cette charte.
Les élections présidentielles d’avril 2021 présenteront des travers identiques. Le candidat entrepreneur à la tête de l’opposition, Sébastien Ajavon, l’ancien Premier ministre Lionel Zinsou et l’ancien ministre Komi Koutché ont tous subi des accusations reposant sur des mobiles politiques et vivent désormais en exil ou sans pouvoir se présenter aux élections. Ces mesures ont écarté du chemin de Talon tous les opposants sérieux et devraient ouvrir la voie à un second mandat de ce dernier.
Les journalistes ayant écrit des articles critiques sur lui ont été harcelés, menacés et emprisonnés. Un contexte bien différent de celui qui prévalait depuis longtemps au Bénin pour les médias. Une loi de 2016 sur les réseaux sociaux comporte des dispositions qui ont pour effet de restreindre la liberté de la presse et de pénaliser des activités relevant pourtant des activités habituelles de la presse, comme la publication de points de vue critiques sur le gouvernement. En juillet 2020, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication a ordonné la fermeture de tous les points de vente de médias « non autorisés ». Le Bénin a reculé de 38 places, du 75ème au 113ème rang au Classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières depuis l’accession de Talon au pouvoir.
« Le mouvement qui a conduit à priver les opposants politiques de toute participation … est révélateur du mode d’exercice du pouvoir de Talon ».
Il est clair que l’intention de Talon est de se maintenir au pouvoir en tirant la couverture à lui électoralement parlant. La question qui se pose au Bénin et à l’Afrique de l’Ouest avec le plus d’acuité est la suivante : quelle sera la réaction de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et de la communauté internationale ? Accepter un résultat électoral découlant de l’exclusion de l’ensemble des candidats viables, d’une interdiction de manifester et de l’arrestation de journalistes reviendrait pour la CEDEAO à placer la barre très bas pour des élections se déroulant en Afrique de l’Ouest. Cela signerait pour ECOWAS un désengagement de sa mission à faire respecter les principes démocratiques dans cette sous-région, en dépit de ce qui est inscrit dans sa charte et du bilan exemplaire de cet organe régional sur ce front au fil des années.
La réponse la CEDEAO et de la communauté internationale est particulièrement importante compte tenu de l’héritage du Bénin en tant que pays pionnier de la démocratie en Afrique de l’Ouest depuis le début des années 1990. Ces principes démocratiques demeurent forts au sein de la société béninoise en dépit des efforts déployés par Talon pour supprimer les freins démocratiques au pouvoir de l’exécutif. Si le Bénin devait retomber dans un régime ostensiblement autoritaire des décennies après avoir ouvert la voie à la démocratie sans réponse concrète de la part de la CEDEAO et des acteurs démocratiques internationaux, le signal serait clair comme du cristal pour les autres despotes en devenir du continent. En effet, les élections de 2021 seront cruciales quant à la trajectoire historique future du pays. Compte tenu du rôle de porte-drapeau joué par le Bénin en matière de démocratie dans la région, les résultats aux élections provoqueront un effet domino quant aux principes démocratiques en Afrique, bien au-delà de ses frontières.
Éthiopie
Élections parlementaires le 5 juin
Le moment des élections peut-être le plus crucial pour l’Afrique sera celui où les Éthiopiens se rendront aux urnes en juin 2021. Le parlement a reporté ces élections, initialement prévues en août 2020, en raison de la pandémie de COVID-19. La décision prise par les Tigréens de maintenir les élections provinciales en septembre a suscité une confrontation avec le gouvernement fédéral qui s’est transformé en conflit armé en novembre. Les conséquences non résolues de cette lutte au Tigré jettent une ombre sur le processus électoral naissant du pays et souligne sa fragilité.
Cet événement constitue les premières élections véritablement plurielles du pays, soit un moment historique pour les 100 millions d’habitants qui le peuplent. Cette ouverture à la démocratie est le fait du Premier ministre Abiy Ahmed qui, après son investiture en avril 2018, a assoupli le système politique jadis étroitement contrôlé de l’Éthiopie. Les élections représentent ainsi l’opportunité d’une participation et d’une représentation populaires qui ont longtemps été refusées aux Éthiopiens pendant les décennies de régimes autoritaires successifs.
« Autre stratégie nécessaire à la bonne marche des élections éthiopiennes : parvenir à un juste équilibre des pouvoirs entre les régions et le gouvernement fédéral ».
Cet héritage d’autoritarisme et l’absence de précédents démocratiques ajoutent à la complexité de ces élections. L’instauration d’une démocratie ne se fera pas en un jour mais nécessitera l’émergence d’une culture démocratique, grâce à des efforts sur plusieurs années. En connaissance de cause, le processus électoral éthiopien de 2021 devra surmonter simultanément plusieurs défis épineux qui peuvent chacun représenter un obstacle majeur.
L’un de ces défis sera de garantir l’intégrité du scrutin. Compte tenu du long passé autoritaire du pays, de l’incertitude et des craintes d’exclusion, les élections éthiopiennes s’engagent avec un haut niveau de méfiance. L’ancienne cheffe de l’opposition désormais exilée, Birtukan Mideksa, est à la tête de la Commission électorale nationale d’Éthiopie, ce qui devrait rassurer des partis de l’opposition sur leurs gardes. Il sera crucial plus qu’ailleurs que cette Commission joue un rôle d’information à l’égard de tous les partis, applique les règles de manière équitable, accueille des observateurs électoraux indépendants et garantisse la transparence du processus de dépouillement.
L’intégrité des élections dépendra également de la capacité à faire librement circuler les informations. L’Éthiopie est connue pour ses coupures régulières d’Internet, notamment pendant les périodes politiquement sensibles. Le gouvernement a également instauré une censure stricte des médias pendant le conflit du Tigré, ce qui a entraîné un vide dans l’environnement informationnel et alimenté nombre de rumeurs sur ce qui se passait. Sans intégrité, le vote pourrait perdre sa capacité à générer la légitimité que l’on en attend et s’avérer au contraire déstabilisant.
Autre stratégie nécessaire à la bonne marche des élections éthiopiennes : parvenir à un juste équilibre des pouvoirs entre les régions et le gouvernement fédéral. La structure de gouvernement fédéral, bien adaptée à la population nombreuse et diverse du pays, permet aux politiques de s’adapter aux circonstances locales et facilite une réactivité accrue du gouvernement face aux priorités des citoyens. Toutefois, les responsabilités ne sont pas clairement réparties, le modèle fédéral peut amplifier les pressions centrifuges sur le pouvoir central, les acteurs régionaux ayant tout intérêt à faire prévaloir leurs intérêts locaux sur les intérêts nationaux. Le gouvernement Abiy a par ailleurs hérité d’un modèle fédéral privilégiant les différences politiques, géographiques et ethniques. C’est un ingrédient propice aux divisions et aux instabilités. L’Éthiopie a en effet souffert de la multiplication des milices ethniques et a enregistré des niveaux records de violences raciales ces dernières années, ce qui aurait entraîné le déplacement de 1,5 million de personnes. Le fait d’encourager le partage du pouvoir avec les élus locaux tout en renforçant les liens avec le pouvoir central ainsi que les valeurs de l’unité et de l’identité nationales sont les composantes de cette balance des pouvoirs à laquelle l’Éthiopie doit aspirer. Tout échec de ce côté sera néfaste à la viabilité de l’Éthiopie en tant qu’État unifié, un risque douloureusement illustré par les violences au Tigré.
« L’instauration d’une démocratie ne se fera pas en un jour mais nécessitera l’émergence d’une culture démocratique, grâce à des efforts sur plusieurs années ».
L’un des défis que l’on ignore souvent dans le cheminement vers la démocratie est le long apprentissage que doivent suivre les partis et candidats rivaux pour s’affronter dans un cadre civil. Les élections démocratiques ont vocation à servir de forum où échanger des visions et des idées. Il s’agit donc de faire preuve de retenue et d’éviter les actions ou les discours de nature à attiser la violence des sympathisants. Des élections démocratiques ne sont pas non plus des batailles existentielles. Le pouvoir des vainqueurs est contenu par les contre-pouvoirs institutionnels. Les perdants continuent de garder espoir et conservent le droit d’exprimer leurs points de vue, ralliant des soutiens et demandant des comptes au gouvernement. Il sera crucial, avant et après les élections, de mettre l’accent sur ces thèmes dans le cadre des efforts d’éducation civique.
Ce cycle électoral doit également faire face à l’incertitude générée par un système de partis très fragmenté. En effet, plus de 100 partis politiques se font concurrence dans le système parlementaire éthiopien, certains venant d’émerger. Même le parti au pouvoir d’Abiy, le Parti de la prospérité, ne s’était jamais présenté auparavant à une élection nationale. Les résultats aux élections sont ainsi marqués du sceau de l’imprévisibilité, aussi des négociations peuvent-elles être menées en vue de former un gouvernement de coalition, ce qui souligne la nécessité pour les partis de conserver entre eux des liens courtois et empreints de coopération. Compte tenu de la nouveauté de l’événement et donc des incertitudes qu’il suscite, le cadre électoral éthiopien devrait rester fluide jusqu’aux élections et après. Bien que ce scrutin historique soit l’occasion inédite d’élargir la participation citoyenne, à moins d’être géré de manière transparente et responsable, l’imprévisibilité qui y est associée pourrait être source d’instabilité en Éthiopie.
São Tomé-et-Príncipe
Élections présidentielles le 31 juillet
Le président Evaristo Carvalho, qui avait exercé les fonctions de Premier ministre, président de l’Assemblée nationale et ministre de la Défense, tentera de briguer un deuxième quinquennat lors des élections présidentielles de juillet. São Tomé-et-Príncipe jouit d’une démocratie multipartite et plurielle et d’une histoire marquée par des alternances pacifiques entre partis. Les élections de 2021 devraient se dérouler librement et en toute transparence.
Le président remplit le rôle de chef d’État. Il partage le pouvoir avec le Premier ministre, qui forme un gouvernement à sa demande sur la base des résultats obtenus par les partis lors des élections législatives. Le Premier ministre actuel, Jorge Bom Jesus, a pris ses fonctions en 2019 et appartient à un parti rival de celui du président. En 2019, des tensions sont nées entre le président et le Premier ministre au sujet de la prérogative de nommer le gouverneur de la Banque centrale, mais ces tensions ont pu être apaisées.
L’ancien Premier ministre Patrice Trovoada pourra contester la présidence, malgré son exil actuel au Portugal où il vit dans la crainte d’une condamnation pour corruption remontant à la période où il exerçait ses fonctions. Son père fut un président populaire de São Tomé-et-Príncipe, et de nombreuses personnes le soutiennent. Les juridictions du pays pourraient le déclarer inéligible même s’il ne vit pas à São Tomé-et-Príncipe.
La stabilité politique relative du pays a permis au quelque 215 000 habitants de profiter d’une croissance économique qui ne s’est pas démentie au fil des années, et cet État insulaire est aujourd’hui considéré comme un pays à revenu intermédiaire. Il conviendra toutefois de continuer à renforcer les capacités de contrôle du gouvernement afin de limiter la corruption et permettre une poursuite de la croissance. Cela sera notamment important au vu de la hausse potentielle des recettes pétrolières dans le golfe de Guinée.
Zambie
Élections présidentielles et législatives le 12 août
Les élections présidentielles de Zambie sont marquées par la volonté du président Edgar Lungu de s’assurer un deuxième mandat. La présidence de ce dernier s’est teintée d’un autoritarisme grandissant et d’un recours plus fréquent aux jeunes milices du Front patriotique, aux services du Renseignement, à la police et aux fidèles de l’armée afin d’intimider les rivaux politiques. Il a fait en sorte d’arrêter des membres des partis de l’opposition sur le fondement de fausses accusations, de politiser le pouvoir judiciaire, de réduire la société civile et de fermer des médias indépendants exprimant une position critique à l’égard du gouvernement.
« En tant que principal consommateur de cuivre au monde, la Chine a massivement investi dans les mines de cuivre de la Zambie ».
Le gouvernement Lungu s’est de plus en plus tourné vers une politique fiscale en dépit du bon sens et l’on craint que le pays ne suive les pas de son voisin frappé par une éternelle instabilité, le Zimbabwe. La dette extérieure de la Zambie s’élève à environ 12 milliards de dollars et la part de la dette publique dans le PIB est passée de 20 à 120 % sous le régime Lungu.
Environ un tiers de cette dette est due à la Chine. Les sociétés chinoises ont de même contribué à plus de 80 % aux projets de construction zambiens. En tant que principal consommateur de cuivre au monde, la Chine a massivement investi dans les mines de cuivre de la Zambie. La Zambie étant contrainte de procéder à une régularisation de sa dette, elle pourrait finir par devoir affecter en garantie certains de ces actifs miniers.
En août 2020, Lungu a limogé le respecté gouverneur de la Banque centrale Denny Kalyalya, pour lui préférer un allié politique, Christopher Mvunga. Cette mesure a fait craindre que la Banque centrale n’imprime des billets à la veille des élections. En novembre 2020, la Zambie s’est retrouvée en défaut de paiement des intérêts sur sa dette à hauteur de 42 millions de dollars, et est le premier pays africain à connaître une telle situation dans le contexte de la pandémie de COVID-19. En 2020, le PIB du pays s’est contracté de 5 %, l’inflation a progressé de 15 % et la valeur du kwacha a perdu 30 %, ce qui n’a pas manqué de peser sur le revenu des Zambiens. Le gouvernement négocie en ce moment avec le FMI pour obtenir un prêt d’urgence.
Les élections de 2021 verront à nouveau s’affronter Lungu et Hakainde Hichilema, chef du Parti unifié pour le développement national et par ailleurs éleveur industriel de bétail. Lungu a été investi en 2015 suite au décès en exercice du président Michael Sata. Lungu écarta Hichilema lors des élections de 2016, lesquelles furent égrenées d’incidents de violence, d’actes d’intimidation contre les électeurs et de couvertures médiatiques partiales. En 2017, Lungu fit emprisonner Hichilema pour trahison, un motif largement considéré comme fallacieux. En prison, Hichilema fut torturé et privé de moyens de subsistance essentiels. Il fut libéré après 4 mois, grâce à une vaste campagne internationale ayant pris sa défense.
« Bien que Lungu semble avoir à sa botte des institutions étatiques politisées, la société civile et les réseaux d’opposition ne se laissent pas faire et la société zambienne montre un fort attachement au respect de l’État de droit ».
Bien que Lungu semble avoir à sa botte des institutions étatiques politisées, la société civile et les réseaux d’opposition ne se laissent pas faire et la société zambienne montre un fort attachement au respect de l’État de droit. Les tentatives d’adoption d’une nouvelle Constitution par le parlement, le fameux « Projet de loi n° 10 », qui aurait renforcé l’autorité de l’exécutif, ont été refusées en octobre 2020, en dépit de la majorité représentée par le Front patriotique. La jeunesse zambienne a organisé de manière novatrice des manifestations en ligne, afin notamment de protester contre la corruption du gouvernement. En juin 2020, de jeunes organisateurs ont frustré les efforts de la police qui comptait empêcher les manifestations prévues sur la voie publique en retransmettant l’événement depuis leur domicile. Plus d’un demi-million de personnes ont visionné les manifestations en ligne.
Compte tenu des tensions observées depuis 2015 et de l’enjeu pour la démocratie zambienne qui se décidera au moment du vote, les émotions devraient être au rendez-vous pour les Zambiens qui iront voter en août. Il sera important d’observer la marge de manœuvre laissée à Hichilema pour faire campagne mais aussi la transparence et le contrôle du dépouillement.
Somalie
Élections présidentielles en octobre (reportées)
Des disputes sur l’organisation des élections présidentielles, au départ prévues pour décembre 2020, et sur leur surveillance ont entrainé par deux fois leur report, d’abord pour février et ensuite pour octobre 2021. Suite à un désaccord sur la structure du vote, la date précise du scrutin n’a pas encore été annoncée. Le gouvernement fédéral dirigé par le président Mohamed Abdullahi Mohamed (plus connu sous le nom de « Farmajo ») et les cinq États membres de la Fédération sont convenus en septembre 2020 de mettre sur pied conjointement une Commission électorale et un Comité de résolution des litiges. Les conflits persistants à ce sujet pourraient entraîner de nouveaux retards. Le simple fait d’obtenir un consensus sur un système équitable pourrait avoir autant d’impact que les résultats aux élections somaliennes de 2021.
En vertu du suffrage indirect appliqué en Somalie, chacun des 275 députés du pays est élu par un collège de 101 délégués désignés par des chefs de clans. Ces députés, de même que les 54 sénateurs élus par les assemblées des différents États, élisent ensuite le président. Ce système de scrutin indirect a été largement critiqué en raison des risques d’achat de voix donnant droit à des sièges contre des sommes pouvant aller jusqu’à 1 million de dollars. Le système subit également l’influence d’Al-Shabab dans la nomination des délégués grâce à des pots-de-vin ou au ralliement de chefs de clan. Cette procédure est l’une des cibles des réformateurs, qui ont fait pression pour que le président soit élu au suffrage universel sous le slogan « une personne, un vote ».
Farmajo brigue un deuxième mandat de quatre ans, et la difficulté de parvenir à un consensus souligne le faible niveau de confiance entre les États fédérés et le gouvernement de Farmajo quant à son engagement vis-à-vis d’un système libre et équitable. Le conflit a suscité davantage de coopération entre les principaux partis de l’opposition regroupés sous la bannière du Forum of National Parties. Les principaux candidats de l’opposition sont les anciens présidents Sharif Sheikh Ahmed (2009-2012) et Hassan Sheikh Mohamud (2012-2016), mais aussi Ali Khaire, ancien premier ministre de Farmajo avant qu’il ne soit relevé de ses fonctions en juillet 2020 au prétexte de ses accointances avec les États fédérés.
Les négociations autour du mode de scrutin ont une portée plus large sur la nature même de l’État somalien. Farmajo est favorable à un État central fort tandis que la plupart des États fédérés penchent pour un système décentralisé avec un partage de pouvoirs, en conformité avec la nature non hiérarchique et clanique de la société somalienne. Le succès de tout accord dépendra de la capacité de la Somalie à sortir de cette culture politique du « winner-take-all » (le gagnant emporte tout) qui favorise une attitude dominante chez les dirigeants, au détriment d’une approche privilégiant coalitions et partage de pouvoirs.
La légitimité du mode de scrutin somalien est étroitement liée à sa capacité à améliorer la stabilité dans la région. Une procédure qui serait jugée juste et valable par les États fédérés et par le public en général encouragerait davantage de cohésion et réduirait le risque de conflit interne. Il créerait également une base plus forte à partir de laquelle répondre aux diverses demandes d’autonomie des régions. Une structure politique plus légitime et responsable pourra également contribuer à améliorer l’efficacité des forces de police en renforçant leur allégeance à la cause fédérale.
La sécurité constitue la clef de voûte des élections somaliennes de 2021. Al-Shabab serait lié selon les estimations à 2100 événements meurtriers et à 3390 décès en 2020, ce qui en fait le groupe terroriste islamiste le plus actif et, vraisemblablement, le mieux établi en Afrique. En plus de perturber le vote, Al-Shabab règne sur de grandes étendues du pays.
« Les élections témoignent de la difficulté à concilier les velléités d’autonomie régionale des clans locaux avec un cadre politique et une vision nationale plus vastes ».
Le mode de scrutin en Somalie doit également faire face à la lutte d’influence accrue menée par les acteurs du Golfe. Le Qatar et la Turquie ont été des soutiens importants pour Farmajo et le gouvernement fédéral, tandis que les Emirats arabes unis (EAU) sont en faveur des États fédérés. Cette lutte d’influence régionale en Somalie (qui s’accompagne de moyens de pression accrus sur le réseau des ports de commerce de l’Océan indien et du golfe d’Aden) fait peser un poids supplémentaire sur un système politique somalien déjà divisé. L’exacerbation des tensions entre le gouvernement fédéral et le Kenya autour du tracé des frontières et des réserves pétrolifères éventuelles, dans l’Océan indien, ainsi que les mesures de sécurité appliquées sur la côte du Jubbada Hoose s’ajoutent aux facteurs régionaux qui influenceront le résultat des élections de 2021.
Le mode de scrutin du pays doit par conséquent se comprendre à l’aune de ce contexte plus large de mosaïque d’États en formation. Les élections témoignent de la difficulté à concilier les velléités d’autonomie régionale des clans locaux avec un cadre politique et une vision nationale plus vastes. Elles révèlent également l’importance géographique de la Somalie au sein de la Corne de l’Afrique mais aussi en tant qu’épicentre du terrorisme en Afrique de l’Est. Les élections et l’équipe dirigeante qui sortira des urnes auront par conséquent des implications très importantes non seulement pour la Somalie mais pour toute la région.
Gambie
Élections présidentielles du 4 décembre
Quoique l’année 2021 marque seulement la fin du premier mandat du président gambien Adama Barrow, le respect des limites de durée des mandats est une question qui éclipse déjà d’autres considérations ayant pourtant mené aux élections.
Barrow est entré en fonction en 2016 après avoir battu le tyran au pouvoir depuis longtemps, Yahya Jammeh lors d’élections où peu comptaient sur un dépouillement honnête. Barrow a promis qu’il serait l’homme de la transition et qu’il resterait seulement trois ans au pouvoir. Par ailleurs, il a mis en place une commission chargée de proposer des changements constitutionnels de nature à renforcer le retour à la démocratie dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest qui se présente comme une petite enclave.
Mais après 3 ans, Barrow refusa de quitter ses fonctions, ce qui suscita un sentiment de trahison parmi ses soutiens. De même, les réformes constitutionnelles proposées, jugées comme progressistes par des experts indépendants, ont été rejetées par un parlement dominé par le parti de Barrow, car elles proposaient de limiter rétroactivement à deux mandats l’exercice présidentiel. Aujourd’hui, la constitution gambienne ne stipule aucune limite dans ce domaine.
Le revirement de Barrow fut une pilule dure à avaler pour ses soutiens, car il représentait une coalition de sept partis réformistes lors de son investiture en 2016. Par ailleurs, les Gambiens avaient subi pendant 22 ans la répression brutale et capricieuse sous Jammeh. La souffrance physique et émotionnelle causée par ces atteintes aux droits de l’homme reste présente dans l’esprit des Gambiens. Le fait d’imposer des freins au pouvoir exécutif est ainsi perçu par de nombreux Gambiens comme un impératif, de peur que le pays ne plonge encore pour longtemps dans une nouvelle période d’impunité sans qu’ils puissent les évincer du pouvoir.
Les élections gambiennes de 2021 revêtent ainsi une grande importance. Il s’agira d’un test quant à la capacité des réformateurs de rallier des soutiens contre un exécutif réfractaire à toute contrainte. Ce qu’il faudra surveiller lors de ces élections : à quel point Barrow aura recours aux acteurs de la sécurité à des fins politiques et à quel point les forces de l’ordre gambiennes accepteront d’être politisées alors qu’elles ont déjà été critiquées publiquement pour avoir permis le régime de Jammeh.
Libye
Élections présidentielles et parlementaires le 24 décembre
En novembre 2020, les figures politiques libyennes réunies par la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL) afin d’esquisser un plan de réunification du pays ont accepté que des élections soient organisées dans le pays le 24 décembre 2021, soit à l’occasion du 70ème anniversaire de l’indépendance de la Libye en 1951.
Le but est de mettre en place un gouvernement provisoire reconnu au sein des Nations unies, le gouvernement d’union nationale (GNA) mené par Fayez el-Sarraj, qui contrôle Tripoli et l’ouest du pays, et de former une alliance souple avec les milices de l’armée nationale libyenne (LNA) et son chef, l’ancien général Khalifa Haftar, force principale dans l’est du pays.
« Quoique les deux camps aient accepté un cessez-le-feu, ils ne partagent pas de vision commune quant à l’avenir de la Libye et ne savent pas même à quoi devrait ressembler un gouvernement unifié ».
La date semble des plus ambitieuses car, quoique les deux camps aient accepté un cessez-le-feu, ils ne partagent pas de vision commune quant à l’avenir de la Libye et ne savent pas même à quoi devrait ressembler un gouvernement unifié. Il convient d’aborder d’autres obstacles de taille avant d’envisager les élections comme une possibilité réaliste. La priorité sera d’envisager le départ des combattants étrangers qui sont venus apporter leur soutien aux deux camps, notamment des Turcs, principaux bienfaiteurs du GNA, mais aussi des Russes et de leurs mercenaires de Wagner, qui ont soutenu la LNA. Ces combattants représentent des intérêts étrangers plus vastes, notamment ceux du Qatar, des Émirats arabes unis et de l’Égypte. En plus de chercher à gagner en influence dans le pays et à tirer profit de sa situation stratégique dans le sud de la Méditerranée, ces acteurs rivalisent pour s’assurer un accès aux réserves pétrolières sur le territoire libyen et dans ses eaux territoriales. Compte tenu de ces intérêts, on peut s’attendre à ce que ces acteurs étrangers cherchent avant tout à contrôler le résultat du scrutin.
On n’est pas sûr non plus qu’Haftar se réjouisse d’un résultat démocratique. Sa rébellion fut lancée, avec l’aval de ses soutiens étrangers, afin de mettre à mal le gouvernement soutenu par les Nations unies et de s’emparer du pouvoir pour devenir le nouvel homme fort de la Libye. Même s’il a été contraint de se mettre à la table des négociations après son retrait de Tripoli, rien ne dit que ses ambitions ont changé.
En bref, des élections ne sauraient remplacer un véritable mouvement de réconciliation et de consolidation de la paix. Sans un engagement réel en faveur d’un système démocratique et sans les contre-pouvoirs inhérents à ce type de système, les élections ne feront que diviser plus encore les camps rivaux qui chercheront à s’attribuer le pouvoir et à créer une illusion de légitimité.
Joseph Siegle est directeur de la recherche et Candace Cook est assistante de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique.
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